Identité de MSF
Que signifie « être MSF » ? Ce chapitre examine comment l'identité de MSF s’appuie sur certains a priori sur qui est neutre, compétent et détient l’expertise. Il démontre comment cela risque de renforcer les hiérarchies de pouvoir dans les pays où MSF opère, ainsi que dans la structure associative du mouvement.
Principales constatations
L'identité de MSF présuppose d’une certaine manière de qui est neutre, compétent et détient l’expertise, ce qui justifie le maintien de l'inégalité entre les différentes catégories de personnel.
Les idées sur l'identité de MSF, et les inégalités qui en découlent, sont inculquées dès l'arrivée d'une personne, par le biais des différentes formations proposées au personnel mobile à l'international et au personnel recruté localement.
Les dynamiques de pouvoir informelles basées sur les perceptions de l'identité de MSF ont été formalisées au fil du temps et interagissent avec les structures de hiérarchies formelles.
Ces dynamiques se reflètent au niveau du mouvement, les idées sur qui est « réellement MSF » étant intégrées dans ses hiérarchies et sa structure associative. Cela détermine qui peut ou ne peut pas contribuer à façonner l'identité et l'agenda de l'organisation.
Aperçu du chapitre
Les présupposés concernant les personnes « neutres » ou « expertes » continuent d'influencer qui est considéré comme légitime et qui est vu comme un leader à qui confier des opérations de MSF. Cela a crée des barrières institutionnelles à ce que les employés recrutés localement puissent assumer des responsabilités, et il y a encore de la méfiance quant à leur capacité à incarner les principes de MSF.
La proximité du « terrain » est un atout pour le personnel mobile au niveau international, mais un inconvénient pour le personnel recruté localement. L'expérience du « terrain » apporte de l'influence au personnel internationalement mobile, mais pour le personnel recruté localement, le fait d'être considéré comme proche de.
Les idées reçues sur les travailleurs humanitaires des pays du Sud, telles que les risques de partialité, de népotisme et de corruption, entretiennent des structures de pouvoir inégales - pourtant, certains membres du personnel recrutés localement s'inquiètent également de la corruption ou des « abus de pouvoir » si leurs collègues étaient nommés à des postes décisionnels élevés. Les employés ont souligné la nécessité de veiller à ce que les jugements à l’emporte-pièce ne l’emportent pas sur les considérations au cas par cas.
« Les informations qui vous sont vendues le sont de manière à ce que, même si elles vous sont défavorables, vous les souteniez parce que vous ne voyez pas la situation dans son ensemble. On croit tellement que c'est vrai, à moins de voir l'autre côté [...]. Nous étions tous convaincus qu'en suivant le principe de neutralité de MSF, vous ne pouvez pas être dans une position de prise de décision en tant que local [...]. Forcément, vous avez vu tous les employés internationaux, cette personne sainte, cette personne pure, qui vient et qui est purement neutre, qui suit les principes de MSF. »
L'idée que « les expatriés sont des experts » est largement répandue. Ce postulat est ancré dans le mode de fonctionnement de MSF, la nécessité supposée de faire venir quelqu'un d'ailleurs suggérant que les « capacités » existantes sont inévitablement insuffisantes.
Certains membres du personnel médical décrivent une culture de travail où les cadres étrangers sont supposés détenir une expertise supérieure, même lorsqu'il s'agit de domaines pour lesquels ils n'ont qu'une expérience limitée. Malgré la forte rotation des cadres étrangers, le personnel médical local a constaté que sa propre expertise était trop souvent ignorée et écartée.
Les personnes interrogées ont eu l'impression que le personnel recruté localement à des postes de coordination ne se voyait pas confier le même niveau de responsabilité que le personnel en mobilité internationale. De plus, lorsque les conditions de sécurité se détériorent, c'est souvent le personnel recruté localement qui est laissé sur place pour continuer à travailler.
Une formation différente pour les nouveaux membres du personnel, en fonction de leur type de contrat, signifie qu'une distinction est faite dès le départ entre les « volontaires internationaux » et les « employés recrutés localement ». La formation internationale présente « le terrain » comme un lieu lointain et intrinsèquement risqué, négligeant le fait que la majorité du personnel de MSF travaille dans son propre pays. Cela contribue à une compréhension différente de qui peut endosser l'identité de MSF et à quelles conditions.
Les formations d'intégration et les documents d'orientation favorisent le personnel internationalement mobile, le présentant comme plus apte à occuper des postes à responsabilité. Dès le départ, il semble « normal » qu'il existe une hiérarchie au sein de laquelle les personnes recrutées au niveau international sont les décideurs qui gèrent des équipes de personnel recruté localement.
Malgré les tentatives de réforme, les hiérarchies restent également ancrées dans la structure associative de MSF – les associations constituées de membres, leurs réunions et leurs forums de représentation. Cela influence qui peut contribuer à façonner l'identité et définir l'agenda de l'organisation. Le personnel et les anciens employés de MSF qui participent aux associations ont théoriquement le pouvoir de diriger l’équipe de direction. Mais dans la pratique, il est beaucoup plus difficile pour certains employés de participer que pour d'autres, ce qui reflète une inégalité plus large.
Le soutien institutionnel est concentré dans le centre opérationnel et les bureaux de section, plutôt que dans les pays d'opération. Le problème a été identifié dans les efforts visant à promouvoir l’implication, notamment en soutenant le rôle des points focaux de la vie associative sur le terrain, connus sous le nom d' « ALFies » (Associative Life in the Field). Mais ces rôles ne sont pas rémunérés et s'ajoutent à la charge de travail existante.
La façon dont les associations sont structurées reproduit la domination des détenteurs de pouvoir au sein de MSF. Les inégalités d'accès ont conduit certains à considérer qu’il existe deux niveaux d’appartenance à l'association, qui se traduisent par des opportunités de participation différenciées mais aussi sur quelles sont les les personnes les plus susceptibles de faire partie de la gouvernance. Les membres du conseil d'administration ne doivent pas être employés par MSF, ce qui complique l'idée de susciter l’implication des ALFies et d'autres employés recrutés localement en vue de leur participation dans les structures du comité de direction et du conseil d'administration.
La gouvernance internationale n'est pas non plus représentative. Les associations les plus récentes ont été créées sur une base régionale, représentant les pays du Sud, tandis que les associations plus anciennes représentant un seul pays (presque tous les pays du Nord) n'ont pas été obligées de fusionner ou de se régionaliser. Chaque association dispose d'un nombre égal de voix à l'Assemblée générale internationale, ce qui se traduit par un poids plus important dans la gouvernance pour une minorité de membres du personnel de MSF.
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10. Newsha Tavakolian/Magnum Photos
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