Culture de l'urgence
Ce chapitre présente l'idée de la « culture de l'urgence », un élément qui sous-tend le travail et la mentalité de MSF. Toutes les activités de MSF ne se déroulent pas dans le contexte d'une situation d'urgence, mais la culture de l'urgence a un impact considérable sur les employés et les inégalités de pouvoir entre eux.
Principales constatations
Le travail de MSF est marqué par un « imaginaire de l'urgence », qui oriente certaines actions tout en rationalisant le manque d'intérêt pour d'autres.
Le mode de fonctionnement de MSF avec ses propres inégalités reposent sur une injonction morale à sauver des vies en situation d'urgence, ce qui se traduit par un modèle opérationnel dans lequel des décideurs externes doivent prendre des décisions dans l'urgence.
Cette mentalité d'urgence ne permet pas d'envisager une vision à plus long terme. Quels sont les impacts sur la durée et qu'advient-il des communautés lorsque MSF s'en va ?
MSF s'efforce de sauver des vies et d'alléger les souffrances.
Cela signifie que certaines choses sont prioritaires par rapport à d'autres, ce qui permet également de justifier des mesures exceptionnelles et des structures d'intervention particulières, y compris celles qui créent ou tolèrent des inégalités.
Dans les interventions médicales d'urgence, certains aspects du pouvoir, tels que les hiérarchies, sont considérés par MSF comme indispensables.
Les décisions doivent être prises rapidement, et les dynamiques de pouvoir formelles et informelles qui permettent à certains individus de gérer une situation sont vitales.
Un coordinateur de projet a fait valoir que dans certains contexts il existe uneinégalité de pouvoir
Un coordinateur du projet a fait valoir que dans certains contextes, les inégalités de pouvoir « peuvent être positives [...] ce n'est pas nécessairement une mauvaise chose ». Lors d’un incident faisant de nombreuses victimes, par exemple, « lorsque nous avons activé le plan et que nous voulons y répondre efficacement, en catégorisant les patients et en répondant à leurs besoins en fonction de leur gravité, il est important que cette dynamique de pouvoir existe ».
Cependant, l'urgence peut être utilisée pour justifier un modèle d'intervention paternaliste.
Elle peut également justifier l'absence de prise en compte des divers besoins et réalités sur le terrain, ainsi que l'absence de prise en compte des questions à long terme, telles que l'environnement.
La culture de l'urgence ne correspond pas toujours à la situation sur le terrain.
De nombreux projets sont complexes et s’inscrivent dans la durée, parfois sur plusieurs décennies, mais la planification reste fixée sur un cycle d'un an. Le fait de considérer MSF comme étant présente de manière temporaire peut expliquer l'inaction face aux préoccupations du personnel local en matière de salaires ou de couverture médicale.
MSF a le pouvoir de changer la vie des communautés locales simplement en étant en capacité de décider de les aider ou non. Les personnes que MSF sert se sentent parfois impuissantes, surtout par rapport à MSF. Elles évoluent également dans un environnement façonné par les structures de pouvoir existantes, qu'il s'agisse de celles qui existent en période de crise ou de celles qui sont plus profondément enracinées.
« Quand on pense à la communication avec les bénéficiaires, dans beaucoup d'endroits, et le Sud-Soudan en est un excellent exemple, où les infrastructures de santé sont pauvres et faibles, MSF est une vraie bénédiction. Nous fournissons des soins de santé gratuits et de qualité, mais cela a un prix, que beaucoup de gens, je pense, ne reconnaissent pas, à savoir que MSF détient un pouvoir sur la communauté par le biais de la fourniture des soins [...]. Lorsque nous disons quelque chose à la communauté, elle peut parfois être réceptive ou sembler réceptive et accepter ce que nous lui disons. Ce n'est pas vraiment parce qu'ils l'acceptent ; peut-être qu'ils l'acceptent, peut-être qu'ils ne l'acceptent pas. Mais c'est aussi en partie parce que c'est nous qui détenons tout le pouvoir, qui donnons les soins de santé, qui sauvons les enfants. »
L'accent mis sur la rapidité et l'urgence signifie que MSF ne donne souvent pas aux communautés locales la possibilité de s'exprimer sur les actions entreprises pour les aider.
Les patients risquent d'être considérés comme des objets sur lesquels il faut agir et d'être traités comme s'ils n'avaient ni expertise ni libre arbitre. Il y a là des éléments du « complexe du sauveur » également présents dans le modèle de personnel internationalement mobile de MSF, amené de l'étranger et trop souvent considéré comme des « experts », alors que l'expertise détenue par le personnel recruté localement n'est pas toujours valorisée.
Les employés s'inquiètent de l'impact à long terme des projets de MSF.
Par exemple, les communautés locales peuvent devenir dépendantes des services et des opportunités fournis par MSF, et le changement des attentes de la population peut avoir un impact sur les relations entre les dirigeants et les membres de la communauté.
« Quand on parle de choses comme de la rougeole, cela revient tous les deux ou trois ans. C'est une maladie qui évolue. On ne peut pas la traiter comme une simple urgence. Il s'agit d'un problème structurel. Je pense donc qu'il vaut la peine de l'envisager dans une perspective à moyen et à long terme, mais aussi dans une optique de prévention, en tenant compte du rôle que les communautés peuvent jouer. »
MSF est perçue comme les « francs-tireurs » du secteur humanitaire.
Cela crée une culture dans laquelle les leaders « charismatiques » peuvent s'épanouir et où l'esprit d'indépendance de l'organisation est perpétué. Cela inspire une grande loyauté parmi les employés, mais limite également le changement et entraîne une mentalité repliée sur elle-même, méfiante à l'égard des opinions et des expériences extérieures.
L'urgence dessine les contours de l'imaginaire de MSF,
ce qui conduit à une vision à court terme axée sur la tâche immédiate, avec urgence et rapidité. Dans le cas du personnel qui n'est pas basé au siège, et en particulier du personnel recruté localement, il en résulte une déstabilisation de la main-d'œuvre...



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Crédit d'image :
4. Oliver Barth/MSF
5. Omar Haj Kadour
6. Alexis Huguet