Leviers d'influence
Ce chapitre présente différentes formes que prennent les l'inégalités au sein de MSF. Il décrit ensuite six attributs qui tendent à contribuer à l'influence au sein de l'organisation : le temps passé sur le terrain, les amis haut placés, la blanchité, la maîtrise de l'anglais, la masculinité et l'expérience médicale.
Principales constatations
MSF est construite autour des inégalités et des déséquilibres de pouvoir - entre patients et humanitaires, bénévoles et employés.
La plus grande inégalité mentionnée par le personnel est l'opposition entre « mobilité internationale » et « recrutement local ».
Il existe plusieurs « leviers d'influence » informels qui interagissent et évoluent, et qui peuvent aider les personnes à faire avancer leur carrière ainsi qu'à définir l'agenda de MSF.
Aperçu du chapitre
MSF est structurée autour des inégalités: les déséquilibres de pouvoir (tels que ceux entre les patients et les humanitaires, et entre les bénévoles et les employés) sont au cœur de la création de MSF et de son fonctionnement actuel. Ceci est courant au sein d’une manière plus large au sein des pratiques d'assistance fondées sur l'idée d'une « humanité universelle » qui peut reproduire les relations de pouvoir post-coloniales.
La plus grande inégalité aux yeux du personnel: les privilèges des employés « internationalement mobiles » par rapport aux employés « recrutés localement ». La distinction entre ces deux catégories a un impact sur l’expérience du travail pour MSF, notamment en terme d’accès aux opportunités, aux postes de direction, mais aussi en terme de mobilité, de couverture médicale, de rémunération et autres avantages.
« Les personnes qui ne sont pas des leaders n'ont aucune influence sur la communauté. Si vous choisissez quelqu'un qui n'est pas un leader, cela ne peut avoir aucune influence sur la communauté. Nous devons donc choisir les personnes qui vont comprendre ce dont nous parlons et opérer un changement avec elles. Elles pourront ensuite aller dans la communauté et parler à la communauté, ou à nous qui avons discuté, et le message peut alors être très bien compris. »
Le pouvoir décisionnel est toujours concentré dans une structure hiérarchique de management et de responsabilité- et la majorité des employés de MSF (ainsi que ceux qui reçoivent l'aide de MSF) en sont encore exclus et sont largement invisibles dans l’écriture de l'histoire de l'organisation et de sa communication publique.
Le personnel recruté localement a du mal à progresser dans sa carrière au-delà d'un certain niveau. Il y a des obstacles à accéder à des fonctions supérieures, notamment l'idée selon laquelle les étrangers sont neutres, quand les « locaux » ne le peuvent pas. Les fonctions de superviseur sont souvent confiées à des personnes ayant un statut « international », même si elles n'ont pas l'expérience requise.
D'un autre côté, « les leaders communautaires et une grande partie du contexte dans lequel nous nous exprimons sont déjà les détenteurs du pouvoir au sein de la communauté ». L'approche adoptée par MSF risque donc de perpétuer les déséquilibres de pouvoir déjà existants au sein de la communauté.
Il existe six attributs majeurs qui déterminent qui a de l'influence, de l'autorité, des opportunités et même une voix au sein de MSF. Ceux-ci ne restent pas nécessairement les mêmes. Ils évoluent et peuvent prendre des formes différentes selon les endroits. Ces attributs sont les suivants :
Le temps passé sur le terrain
Selon les personnes interrogées dans le cadre de l'étude, cela vous donne une « crédibilité » et vous donne les « galons » qui vous légitiment pour représenter MSF à l'extérieur et « participer aux discussions » en interne. Cependant, le fait d'être « originaire » du terrain ne vous donne pas l'influence que confère le fait de l'avoir visité, et l'ancienneté du personnel recruté localement n'a pas le même poids.
Les amis haut placés
Le fait d'avoir de bonnes relations, en particulier avec des décideurs de haut niveau, permet aux gens de se montrer légitimes et importants, et influe sur leur capacité à accéder à différentes opportunités, ainsi qu'à la sécurité et au soutien.
Blanchité
Certains employés ont décrit comment la blanchité est encore un marqueur de pouvoir et de compétence au sein de MSF, « l'expatrié » étant souvent assimilé à la blanchité, et la blanchité à un stéréotype racialisé du travailleur humanitaire. Les visions coloniales racialisées influencent les hiérarchies supposées de compétences et d'expertise, avec des exemples suggérant que le personnel noir africain est confronté aux cas les plus graves « de stigmatisation de l’Autre ».
Compétences linguistiques en anglais
Il s'agit d'une voie d'accès à des postes de pouvoir, en particulier dans les programmes d'OCA. Sans l'anglais, les employés d'une étude de cas congolaise ont indiqué qu'ils n'avaient pas accès aux postes décisionnels, aux emplois internationaux ou aux formations uniquement dispensées en anglais. La langue de travail est souvent déterminée par le petit nombre de cadres supérieurs qui parlent anglais, plutôt que par la grande majorité du personnel et des patients dont la langue maternelle est souvent différente.
Masculinité
Ou la capacité à se conformer à un personnage « macho ». Le personnel recruté localement est également confronté à des dynamiques de pouvoir sexospécifiques dans les équipes. Dans certains cas, les personnes interrogées ont souligné que la majorité des femmes recrutées localement « travaille soit dans le ménage, soit dans le domaine des soins. Les hommes occupent tous les autres postes. »
Expertise médicale
Permet aux personnes d'exercer une influence, de définir et de former les programmes. Dans certains cas, c'est officiellement qu’on la reconnait et lui accorde une position privilégiée.
« Globalement, il existe un déséquilibre de pouvoir entre le personnel de santé et les patients, ou les communautés. Je pense que cela se reflète également chez MSF. Nous ne sommes pas différents. Je pense que pour nous, c'est encore plus compliqué, ou aggravé, par les racines coloniales qui sont les nôtres. Je ne pense pas que nous ayons encore suffisamment réfléchi aux déséquilibres, aux inégalités et au pouvoir de la médecine, de la profession médicale. »
D'une manière générale, les différents leviers d'influence se chevauchent et s'entrecroisent avec les inégalités au sein de MSF. Certains sont liés à des facteurs démographiques tels que la race, le sexe, l'appartenance ethnique, qui sont le reflet de structures sociétales plus larges. MSF peut jouer un rôle dans l'accentuation ou l'atténuation des inégalités en fonction de la position que l'organisation adopte. D'autres font partie des systèmes et des cultures propres à MSF et sont parfois partagés avec d'autres organisations humanitaires. Les derniers chapitres présentent des exemples de la façon dont les leviers d'influence se manifestent dans la pratique.
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Crédit d'image :
7. Ria Kristina Torrente
8. Isaac Buay/MSF